lundi 10 mars 2008

Pour La Pastorale, le cours d'éthique & culture religieuse est exempt de vraie culture religieuse et contraire au « vivre ensemble »

La revue catholique La Pastorale  du mois de mars publie un article assez percutant du philosophe Gérard Lévesque qui s'intitule : « Un programme sans véritable culture religieuse et contraire au «vivre ensemble ». L'article est cosigné par les professeurs de philosophie MM Marcel Bérubé, Charles Cauchy, Maurice Cormier, Michel Fauteux, Michel Fontaine, Richard Lussier et Gaston Nadeau.

La critique du cours s'articule le long de cinq axes :
  1. ce programme favorisera la transmission d'un savoir religieux superficiel,
  2. il pourrait plutôt susciter le dégoût du religieux et conduire à l'acquisition d'une inculture religieuse,
  3. les élèves (seront) laissés à eux-mêmes en les plaçant dans l'inconfort et l'angoisse de ne pouvoir faire la part des choses entre les diverses interprétations possibles,
  4. les auteurs affirment également que le savoir religieux pouvant répondre aux questions existentielles est non seulement ignoré, il est discrédité par la démarche générale que le programme préconise,
  5. enfin le programme ne va en rien faciliter le « vivre ensemble » en traitant les croyances des autres avec tant de superficialité, il en fera plutôt le sujet de quolibets, de critiques insignifiantes et de ridicules.
Quelques extraits :
[...]
Un savoir religieux de surface

Étrangement, les contenus de cours de culture religieuse du programme et leur description détaillée aux pages 67 à 74 ne font aucune mention du coeur même du phénomène religieux, la foi elle-même. Ce que les jeunes élèves auront à apprendre, ce sont plutôt divers aspects de la pratique religieuse, tels les rituels et les symboles religieux, les objets et lieux de culte, les célébrations et calendriers des fêtes, les fondateurs et guides spirituels, les postures de prière. C’est précisément parce que ces facettes extérieures ne constituent pas le cœur des croyances que de nombreuses personnes se disent croyantes même si ces aspects extérieurs n’ont pas
d’importance à leurs yeux, étant non pratiquantes.

C’est [pourtant] en allant derrière de telles manifestations extérieures qu’on peut commencer à comprendre une religion.

[...]

Au surplus, on sait que le caractère insolite, cocasse ou obsolète de certaines pratiques extérieures des religions témoigne de la difficulté qu’il y a à se faire des religions et de leurs pratiques une juste perception. La posture de prière particulière des musulmans ou le port chez les Juifs hassidiques du couvre-chef noir sur cheveux bouclés ne manquent pas de nous apparaître parfois étranges. Seule la connaissance de l’intérieur d’une religion permet de saisir le sens de telles manifestations. Les élèves du primaire ne pourront donc pas s’en faire une
juste perception. Il n’est pas exagéré de penser que les élèves pourront s’amuser de telles bizarreries et se moquer de ceux qui paraissent prendre tout cela au sérieux.

Le programme n’assurera donc aucunement le fait que les élèves deviendront respectueux des pratiques religieuses, ni respectueux des adeptes de ces pratiques ou des croyances qui s’y rattachent. Au contraire, le phénomène religieux risque fort de leur apparaître comme un bien drôle de phénomène !

Le dégoût du religieux
Pour que les élèves réussissent les examens, on les obligera à mémoriser une longue liste de mots difficiles servant à désigner ces aspects accessoires des diverses religions. Le programme n’en indique qu’une partie mais elle occupe déjà près de dix pleines pages : la croix huguenote, la menorah, le kirpan, le khanda, l’id el Adha, l’Id el Fitr, le Wesak, le Divali, le Tripitaka, le Bahgavad Gita, l’Aataentsic, le Nanajobo, le Glouskap, le Siddharta Gautarna ; et ainsi de suite de tout le reste qui n’a pour effet que d’allonger ce plantureux et indigeste menu scolaire.

Ce savoir encyclopédique, ésotérique et éclectique risque fort de s’avérer une culture du vide. Les élèves devront mémoriser la nomenclature de ces noms de rites, de célébrations, d’objets, de lieux, de symboles, car leur mémoire sera soumise à des évaluations et examens. Ils devront de plus se souvenir précisément à laquelle des nombreuses religions se rattache chacun de ces noms. Il n’y a pas de programme scolaire qui aura autant pour effet de faire des élèves, comme dit Montaigne, « des têtes bien pleines mais non bien faites ».

L’inculture religieuse

Quant aux questions au cœur du phénomène religieux que le désir de connaître de l’élève ne manquera pas de soulever, le programme misera sur la « combinaison » des contenus religieux avec les contenus du premier volet du programme sur les questions éthiques, et sur le dialogue entre élèves. Le programme illustre cette combinaison par un exemple qui déjà laisse perplexe : le grand récit de Noé et du Déluge servira à sensibiliser l’élève à bien traiter les autres êtres vivants, dont les petits animaux : chats, lapins, hamsters !

Pour prendre un exemple de notre cru relatif aux humains entre eux, on peut concevoir aisément qu’une interprétation éthique de la parabole de L’Enfant prodigue peut y voir le bienfait du pardon dans les relations interpersonnelles. Mais une lecture avec ces lunettes de l’éthique ne peut jamais être plus qu’une lecture de premier niveau; elle est incapable de rendre compte du véritable message du récit religieux.

Ainsi le récit de L’Enfant prodigue est tout normalement lié intrinsèquement au coeur du religieux, plus précisément à la préoccupation première et spécifique des grandes religions, la destinée humaine ultime. L’exégèse chrétienne enseigne que ce récit évangélique illustre l’ouverture des portes de l’au-delà grâce à la miséricorde de Dieu le Père représenté par le père de la parabole, malgré la faiblesse des humains qui en sont les créatures et les enfants, représentés par l’enfant prodigue accueilli à bras ouverts dans la maison familiale suite à ses mésaventures.

[...]

Le programme ne manifeste nulle part le moindre souci que les choses religieuses soient interprétées d’une façon conforme à cette véritable culture religieuse. Là aussi, il s’en tient à la surface des écrits sacrés pour en faire un usage réducteur qui les rapetisse: il les subordonne à l’éthique, laquelle est d’origine et de portée simplement humaines, forcément non religieuses et non confessionnelles.

[...]

C’est à l’élève, pourtant maintenu dans l’ignorance du savoir religieux véhiculé par la tradition, qu’est laissée la difficile tâche d’interpréter les textes sacrés. Le « rôle » de l’enseignant et sa «posture professionnelle» se limiteront à être un animateur, non un guide bien informé ou expert en la matière, et à se faire un devoir de « ne pas influencer les élèves dans l’élaboration de leur point de vue ». Parce qu’on est conscient que l’élève ne pourra y arriver correctement, même suite aux diverses interprétations issues de la discussion avec ses pairs, aussi peu éclairés que lui, le programme n’exige de l’élève que cette seule compétence à acquérir : « reconnaître les diverses façons de penser, d’être et d’agir à l’intérieur d’une même tradition religieuse, dans différentes religions de même que dans la société. » Il est hautement navrant de constater que les activités d’apprentissage sont vouées à cultiver l’ignorance et à jeter le jeune esprit des élèves dans l’inconfort et l’angoisse de ne pouvoir faire la part des choses entre les diverses interprétations possibles.
[...]

Le discrédit sur les croyances

Le savoir religieux pouvant répondre aux questions existentielles est non seulement ignoré, il est discrédité par la démarche générale que le programme préconise. Intarissable quand il s’agit de faire état des actes de la raison pure et froide (définir, analyser, discuter, élaborer un point de vue, délibérer, explorer, interroger, faire des liens, etc.

[...]

En soumettant le contenu religieux au seul examen de la raison éthique, le programme ne peut que disqualifier les croyances et l’univers religieux. C’est là une façon de miner à la base l’existence même de la foi et de la croyance religieuse. Bref, le programme omet de faire état de ce que le phénomène religieux contient de plus précieux relativement au cœur même des préoccupations humaines mentionnées ici dès le tout début. Il préfère mettre abondamment l’accent sur ce qu’il montre en surface et qui ne manque pas d’apparaître plein de bizarreries. Il n’y a donc rien dans ce programme pour représenter adéquatement et respecter les diverses confessions religieuses présentes au Québec. Ce programme est davantage une injure à l’égard du fait religieux comme tel, et une insulte aux croyants de toutes les confessions.

[...]

Or le programme vient amplifier cette difficulté [de dialogue et de vivre ensemble]. Il met la table à une situation comparable à celle où les vues de chacun, rabaissées à leur plus simple expression, sont rendues injustement insignifiantes ou ridicules, et où les intervenants ont tout ce qu’il faut pour montrer du doigt et dénoncer les failles et les côtés farfelus des convictions de leurs interlocuteurs.

Nous sommes en présence d’un programme dont les lacunes sont suffisamment graves et nombreuses pour ne pas pouvoir y donner notre adhésion.

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