vendredi 14 novembre 2008

Dénatalité et politique familiale

Le Devoir publie aujourd'hui un long texte de Sophie Mathieu, doctorante en sociologie à l'université Carleton.

Les allocations de naissance censément inefficaces

L'article rappelle qu'
« entre 1988 et 1996, Québec offrait une allocation à la naissance qui atteignait jusqu'à 8000 $ pour la troisième naissance et les subséquentes. »
Mme Mathieu affirme ensuite que
« Cette mesure fut toutefois abolie en 1997, en raison de son inefficacité. La solution à la dénatalité proposée par l'ADQ est donc basée sur une affirmation erronée, soit que l'allocation à la naissance en vigueur de 1988 à 1996 a augmenté la natalité au Québec, alors que la tendance est réapparue lorsqu'on a mis fin à cette mesure. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: bien que la natalité grimpa de 1988 à 1990, elle reprit sa pente descendante dès 1991, bien avant l'abolition du bébé-prime [il faudrait parler de prime-bébé]. »
Cette prétendue inefficacité a été analysée dans deux rapports bien étayés, celui du CREFE en 2001 et celui de l'Institut CD Howe en 2002. Ces deux rapports concluaient pourtant que l'allocation à la naissance avait eu des effets importants sur la fécondité.

Comment réconcilier cette baisse avant la fin du programme — fortement accélérée après la fin du programme au demeurant ! — et cette conclusion sur l'efficacité en définitive de ce programme ?

Il faut d'abord considérer que la natalité n'est pas influencée par un seul élément et par une seule mesure politique. Il faut donc essayer d'isoler l'effet de la prime-bébé. À cette fin, il est intéressant de comparer l'évolution de la natalité du Québec avec celle du reste du Canada (RdC) qui ne bénéficiait pas de la prime-bébé mais partageait bien d'autres paramètres comme l'économie. Le RdC constitue donc un groupe de contrôle approprié. Il convient de prendre note que celui-ci ne présume pas une absence de différence dans les caractéristiques des Québécoises et des résidentes du RdC, mais plutôt que ces différences restent constantes sur une période de temps.

Or, qu'observe-t-on dans le schéma ci-dessous correspondant à cette évolution ?

courbe natalité du Québec et du Canada

Le taux de fécondité du Québec et celui du RdC ont divergé pendant toutes les années 80. L’écart le plus important s’est produit en 1986, lorsqu’il a atteint 0,3 enfant par femme. Il a légèrement diminué en 1987 et en 1988, avant que l’allocation à la naissance ait pu influer sur la fécondité. À partir de 1989, l’écart entre le taux de fécondité du Québec et celui du RdC s’est réduit rapidement et considérablement. De 1989 à 1996, l’écart s’est resserré de 86 %, passant de 0,29 à 0,041 enfant par femme. Tout au long des années 90, l’écart s’est maintenu assez constant, à environ 0,08 enfant par femme.

En outre, si le taux des premières naissances au Québec est passé de 0,656 par femme en 1987 à 0,755 en 1993, soit une hausse de 15 %. Durant la même période, cette hausse était de 7 % dans le RdC. Par contraste, le taux des troisièmes naissances et plus au Québec s’est accru de 35 %, passant de 0,217 par femme, en 1987, à 0,294 en 1993, alors qu’il chutait de 3 % ailleurs au Canada. Cette tendance bien plus forte chez les Québécoises vient appuyer l’hypothèse que l’allocation à la naissance (plus forte pour le troisième enfant) influait sur les décisions à l’égard de la famille.

Désir de plus d'enfants

On ne peut donc suivre Mme Mathieu quand elle déclare :
« La solution aux problèmes de dénatalité ne se situe donc pas dans une allocation à la naissance. Ni dans un retour aux valeurs traditionnelles.
Ah, les valeurs traditionnelles honnies ! Elles ont bien vite bon dos.
Une étude menée dans les années 80 a démontré que les aspirations des Québécoises en matière de fécondité n'étaient pas comblées: les femmes n'ont pas le nombre d'enfants qu'elles souhaiteraient avoir. »
C'est exact.

La conciliation-travail prétendument seule solution
Il semblerait que, lorsque confrontées aux difficultés engendrées par la conciliation travail-famille, les femmes reverraient à la baisse le nombre d'enfants auquel elles désirent donner naissance.
C'est une conclusion hâtive. Ce n'est pas nécessairement la conciliation travail-famille qui pose problème. Cela peut être un problème. Le problème plus large est simplement qu'avoir des enfants coûte cher et que ce coût freine certaines familles et force souvent les femmes à travailler même quand elles préfèreraient rester à la maison. C'est alors qu'intervient pour beaucoup la conciliation du travail et de la famille. Mais, avec une aide financière supplémentaire consentie directement aux familles, certaines de ces femmes ne seraient pas forcées de travailler ou, si elles continuaient de travailler, trouveraient leur charge financière d'autant allégée et envisageraient à nouveau cet enfant supplémentaire souhaité.

Un peu plus loin, très occupée à défendre les mesures de conciliation travail-famille, Mme Mathieu ressort un lieu commun :
« À l'opposé, les pays n'offrant pas aux femmes la possibilité de réconcilier leurs responsabilités familiales et professionnelles ou, dit autrement, les pays où les femmes doivent faire le choix d'être une mère ou une travailleuse, sont ceux où la dénatalité reste la plus aiguë (les États-Unis faisant exception). Je fais ici référence à l'Italie, à la Grèce et à l'Espagne, des pays où la famille reste pourtant au cœur de la vie sociale. »
Ce que Mme Mathieu oublie de dire c'est que la politique familiale de ces pays est quasi inexistante : pas plus de conciliation travail-famille que d'allocation importante à la naissance.

Les garderies : non universelles, ruineuses et aux effets aléatoires

Comme il est à la mode dans les cercles progressistes, Mme Mathieu qui tient par-dessus tout à ce que les femmes ne restent pas au foyer préconise plus de places de garderies, mais enfin à des heures flexibles. Ce n'est pas sot. Le bât blesse quand on considère cette solution comme la seule et que le gouvernement doit être en charge de cet effort plutôt que de laisser les parents choisir la forme de garde.

Quels sont les problèmes liés aux garderies comme seul axe d'une politique familiale ?

Le premier problème c'est que les garderies ne satisferont jamais toutes les femmes, on en punira donc certaines dans les faits pour ne pas avoir adopté la solution politiquement correcte : le retour au travail le plus vite possible, l'éducation des jeunes enfants par des tiers.

Le second problème en est un d'efficacité au niveau de la natalité. Quel est le « retour sur investissement » de cette mesure nettement plus chère que les primes-bébés ? En effet, une seule année de subventions de garderie pour un enfant coûte quasiment aussi cher que la prime-bébé versée une seule fois par enfant. Or les enfants peuvent rester plusieurs années en garderie. Et enfin quels sont ces études qui prouvent que les garderies ont réellement produit un mini baby-boom quand on considère l'embellie économique connue par le Québec jusqu'à récemment et qu'on la compare aux conditions difficiles de la fin des années 80 et du début des années 90 quand le gouvernement avait mis en place les allocations de naissance ?

Enfin, s'il est possible que les enfants défavorisés profitent de la stimulation offerte par les garderies, les bénéfices pour l'ensemble des enfants sont loin d'être évidents. C'est ainsi que, d’après une étude de 6 ans réalisée par l’université de Durham l'année passée et portant sur 35 000 enfants, le programme britannique de garderie SureStart (« Départ assuré ») qui a coûté près de 45 milliards de $ canadiens n’a eu aucun effet sur les compétences et le niveau de développement des enfants quand ils sont testés à leur entrée à l’école primaire.

Ces résultats confirment l’évaluation du programme SureStart effectuée en 2005; celle-ci n’avait également trouvé aucune amélioration globale chez les enfants des milieux défavorisés qui constituaient les cibles de ce programme à son origine.

Rappelons que des études antérieures ont démontré des désavantages notables liés à une garde trop précoce des enfants d'âge préscolaire. C'est ainsi que le Bureau national de recherche économique, un organisme renommé de recherche des États-Unis, a récemment publié ce qui est l'étude la plus complète et la plus récente sur le système de garderie du Québec. Dans leur résumé, les professeurs d'économie Michael Baker, Jonathan Gruber et Kevin Milligan écrivent que l'introduction de ce programme a eu des conséquences négatives autant sur les parents que sur les enfants:

« [N]ous avons découvert des preuves frappantes que les enfants ont subi des détériorations dans un éventail d'aspects comportementaux et liés à la santé, allant de l'agression aux aptitudes motrices et sociales en passant par la maladie. Notre analyse suggère aussi que le nouveau programme de garderie a mené à des pratiques parentales plus hostiles et moins cohérentes ainsi qu'à une détérioration de la santé parentale et des relations parentales. »

1 commentaire:

Julie de la rivière a dit…

Le choix
Je suis toute pour le choix . Ce qui me dérange, c’est que le choix de retourner travailler est financé par le gouvernement. Si j’avais recu le 20 dollars par jour que le gouvernement paye pour un enfant en garderie, 5 jours par semaine et 200 jours par année, j’aurais recu pres de 100 000 dollars au cours des années en tant que mère/éducatrice pour mes trois enfants. Sans compter les congés de maternité et autres, le régime de retraite etc. Laissez moi vous dire que les miens, comme les enfants de garderie, aurait pu avoir accès a plus de materiel éducatif et d’ateliers. Je connais quelqu’un qui donne des ateliers de danse dans les CPE, et c’est merveilleux mais jamais des mères au fyer ne peuvent offrir ca a leurs enfants. On a pas du tout les memes moyens.
L’enfant n’a pas les memes droits/besoins qu’il soit a la maison ou a la garderie?

Le vrai fond des mommy wars c’est ca, on est toutes pour la liberté de choisir mais il semble que le soutien offert pousse dans une certaine direction. Des familles comme nous qui arrivent juste sur un salaire et qui ont choisi de garder les enfants a la maison, doivent payer pour les autres sans rien recevoir.

Le féminisme a permi aux femmes d’etre recconues sur le marché du travail mais les femmes au foyer sont toujours restés dans l’oubli. On commence maintenant a s’interesser aux aidantes naturelles qui s’occupent de personnes malades, vieilles ou handicapées. Quand va t’on reconnaitre les femmes qui s’occupent a temps plein de leurs enfants? Au moins nous permettre de cotiser au régime de retraite. Nous ne somes pas des inaptes/ inactives. Nous sommes des femmes actives socialement et faisons un travail important.

Peu importe qui éduque l’enfant, il devrait etre financé equitablement. Et si on faisait confiance aux familles et qu’on financait celle-ci plutot que des services uniformes? Je pourrais choisir qui garde mes enfants et payer la grand-mere, la voisine, moi meme!

Ce choix ne devrait pas etre un choix economique mais personnel. Il est tres injuste de ne pas offrir le meme soutien a tous les enfants.