mardi 19 mai 2009

Le pouvoir légitime des parents — Réponse à la lettre de l'abbé Gravel

Lettre ouverte de Mme Morse-Chevrier, présidente de l'Association des parents catholiques, envoyée à la Presse de Montréal et à l'Action, à la suite de la publication d'une lettre du prêtre Raymond Gravel en faveur de l'imposition du cours d'éthique et de culture religieuse.

Le procès opposant les parents qui demandent l’exemption de leurs enfants du cours d’Éthique et culture religieuse (ECR) et la Commission scolaire Des Chênes, assistée de la Procureure Générale comme intervenante, a eu lieu à la Cour Supérieure de Drummondville du 11 au 15 mai 2009. Ayant assisté à l’entièreté de la preuve présentée par les deux parties, je ré-affirme l’appui de la part de l’Association des parents catholiques du Québec (APCQ) aux parents qui demandent l’exemption pour leurs enfants.

Le Cardinal Zenon Grocholewski de Rome, se référant « à de nouvelles réglementations civiles » qui remplacent l’enseignement religieux par des cours de « morale et culture religieuse », a publié très récemment (le 5 mai 2009), une lettre à tous les évêques du monde pour distribution auprès de ceux engagés dans la mission éducatrice de l’Église. Cette lettre rappelle très fortement la priorité pour le parent de choisir l’éducation morale et religieuse de leurs enfants à l’école comme ailleurs : « Au sein d’une société pluraliste, le droit à la liberté religieuse requiert à la fois l’assurance que l’enseignement religieux soit donné dans les écoles, et une garantie que cet enseignement soit en conformité avec les croyances des parents. »

La lettre du cardinal Grocholewski vient renforcer ses remarques orales il y a quelques semaines à l'effet que l'imposition du cours d'éthique et de culture religieuse au Québec « violait le droit des parents. » (Zenit, 19 février 2009)

En tant que préfet de la Congrégation pour l’Éducation catholique, le Cardinal, le 5 mai 2009, a prévenu des dangers suivants : « Si l’enseignement religieux se limite à une exposition de différentes religions de manière comparative et “neutre”, cela peut être source de confusion, ou inciter au relativisme ou à l’indifférentisme. » Ce n’est pas différent de ce que disent les parents qui demandent d’exempter leur enfant du cours d’Éthique et culture religieuse (ECR), ni des propos du théologien Guy Durand, témoin expert pour les parents en Cour supérieure à Drummondville du 11 au 15 mai 2009, qui a souligné que ce cours mène au relativisme.

Ce ne sont pas quelques parents marginaux qui s’objectent à ce cours, contrairement aux dires de M. Raymond Gravel (L’Action, le 14 mai 2009). Les Chevaliers de Colomb de la province veulent la reconnaissance du droit à l’exemption et que ce cours soit optionnel. Il en va de même pour les coptes orthodoxes, pour les parents de l’Association des parents catholiques du Québec (APCQ) et de la Coalition pour la liberté en éducation (CLÉ), pour plusieurs pasteurs évangéliques et autres. Lorsque 2000 parents demandent l’exemption, que 200 parents retirent leurs enfants et que des parents poursuivent une commission scolaire en cour, il y a lieu de s’interroger. Pour moins que cela, on avait introduit l’enseignement moral comme option à l’enseignement religieux, il y a plus de 25 ans. L’APCQ demande, avec les autres parents, que les commissions scolaires accordent l’exemption aux parents qui le demandent ou, mieux encore, que le cours ECR soit optionnel.

David Mascré, philosophe et professeur associé à l’Université de Paris, après une analyse minutieuse du programme, considère que ce dernier est dangereux pour les enfants car il promeut « le polythéisme » et « réduit systématiquement le contenu de la foi à un ensemble de symboles sans fondement objectif ni assise rationnelle ». Son analyse confirme celles faites par les parents de la province.

Il ne faut pas confondre la perte du choix entre l’enseignement religieux ou l’enseignement moral (sans religion) et l’imposition du programme d’ECR. Les parents veulent avoir, bien sûr, une option respectueuse de leur foi à l’école comme l’a maintes fois recommandé le Vatican. Cependant ils veulent aussi et séparément, ne pas voir des religions étrangères imposées à leurs enfants dans le contexte d’un cours non chrétien comme ECR. Ils ne veulent pas, non plus, que leurs enfants soient soumis à une approche de clarification des valeurs pour l’éthique, comme c’est le cas dans ECR.

Le cynisme, la moquerie et le mépris de M. Gravel à l’égard des parents ne semblent pas connaître de limite (L’Action, le 14 mai 2009). Mais, à mon étonnement, M. Gilles Routhier, théologien expert pour la Commission scolaire Des Chênes à Drummondville, a aussi reproché aux parents : « de bouder le programme, de faire des marches et des manifestations ». Par ces actions, les parents ne font qu’exercer leur pouvoir démocratique et défendre leurs droits. L’État et certains membres du clergé ont peut-être un agenda social à promouvoir, mais ce débat doit se faire entre adultes consentants. Ne le faisons pas sur le dos des enfants. En dépit de sa position pro-ECR, Georges Leroux, témoin expert pour la Commission scolaire à Drummondville, a prévenu contre le fascisme quand l’autorité parentale tombe. Il faut renforcer et non miner l’autorité parentale et le droit de choisir des parents.

Les parents ne sont pas des fanatiques parce qu’ils tentent de passer à leurs enfants des valeurs sûres et une foi vivante et parce qu’ils ne veulent pas voir cet ouvrage détruit par l’école, en l’occurrence par le cours ECR. L’APCQ demande le respect pour ces parents et pour leurs enfants et adolescents dont la liberté de conscience et de religion est aussi bafouée.

Lorsqu’on demande à l’enfant de comparer des récits religieux, de rentrer dans des lieux de culte en prenant les postures requises par cette croyance, de nommer des noms de dieux païens, de lire des prières des spiritualités autochtones, de raconter comment il vit sa religion à domicile, de se taire devant des opinions qu’il trouve irresponsables ou devant des croyances qu’il trouve illégitimes, d’accepter toute croyance sur le même pied, on demande à l’enfant d’agir et non seulement d’observer le phénomène religieux, contrairement à ce qu’ont prétendu M. Jacques Pettigrew et M. Routhier lors des audiences en cour. Ces actes interfèrent avec le développement religieux de l’enfant car il doit mettre de côté son esprit critique face aux autres religions et collaborer avec des actions qui vont parfois contre sa foi. Le vivre-ensemble n’est pas tout, l’enfant tend entièrement vers la connaissance de la vérité, comme l’a précisé le professeur Mascré devant le Tribunal.

Laissons les parents éduquer leurs enfants. Ne tentons pas de leur enlever ce privilège qui vient avec la responsabilité de les élever. Faisons confiance au peuple québécois en leur laissant, comme le stipule le Vatican, une réelle liberté dans le choix de l’école et des programmes. Rejetons l’approche totalitaire qui impose, par le biais de lois gouvernementales, de cours obligatoires et de mépris des demandes des parents, des changements identitaires aux plus jeunes et plus vulnérables des citoyens.

Terminons par une citation d’un document de Vatican II donnée en Cour Supérieure par Me Jean-Pierre Belisle, procureur pour les parents, pour appuyer la légitimité des actions des parents catholiques (et autres) qui veulent exercer de manière responsable leur autorité parentale :
« Qu'ils [les laïcs] attendent des prêtres lumières et forces spirituelles. Qu'ils ne pensent pas pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu'ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou que telle soit leur mission. Mais plutôt, éclairés par la sagesse chrétienne, prêtant fidèlement attention à l'enseignement du Magistère, qu'ils prennent eux-mêmes leurs responsabilités. »
(Gaudium et Spes, 43-2).

Notons que le Magistère vivant est celui dont l'autorité s'exerce au nom du Christ, c'est-à-dire par les évêques en communion avec l'évêque de Rome (Wikipedia).

Jean Morse-Chevrier,
présidente,
Association des parents catholiques du Québec

4 commentaires:

Anonyme a dit…

La lettre de Mme Morse-Chevrier me fatigue. Parce que si La Presse en publie une, ce sera probablement celle-là plutôt que celle de Guy Durand, à l'argumentaire moins prévisible. Comprenons-nous bien. Je suis un catholique convaincu et les arguments relatifs au magistère me rejoignent; et je ne suis pas un admirateur de l'abbé Gravel ni du "courage" de nos évêques. Cela dit, ce n'est plus qu'une minorité de nos concitoyens qui sont disposés à recevoir ce type d'arguments; or, par ailleurs, nous prétendons défendre le droit NATUREL des parents à décider en priorité de l'éducation à donner aux enfants. Ce genre d'arguments devrait nous aider à rejoindre plus de gens, au point que la CLÉ (qui a su le faire valoir) regroupe même des protestants, des juifs, quelques musulmans et rejoint, sur la question de l'exemption, les positions de maints athées si ce n'est du Mouvement Laïc Québécois lui-même quant à cette question précise (faut bien être stratégique des fois). L'intervention de Mme Morse-Chevrier me rappelle douloureusement celles d'un personnage pro-vie très connu au Québec il y a 25 ans, qui citait les papes dans le débat sur l'avortement (alors que selon la doctrine catholique, la vérité sur le respect de la vie est censée accessible à toute personne de bonne volonté, pas seulement aux - rares - croyants fidèles au Magistère). Les chrétiens et les catholiques conséquents ne sont peut-être pas aussi peu nombreux que certains l'affirment, mais pourrait-t-on essayer de ne pas réduire nous-mêmes la portée de cette bataille? Elle ne concerne pas que nous et nous la menons dans l'intérêt de tous; encore faut-il s'arranger pour que cela ressorte clairement. Et cela dépend en grande partie de la façon dont nous la présentons et la justifions.

Ajout a dit…

Anonyme a dit:

"La lettre de Mme Morse-Chevrier me fatigue"

Je comprend tres bien votre point strategique (etant aussi un catholique convaincu et en accord avec la position du magistere!). Mais ne jouons pas le jeu de la division (ou personne ne gagnerait rien sauf ceux qui essaient de faire croire que ECR est necessaire pour vivre la tolerance). Le regroupement de la CLE unit pour la meme cause: le libre choix par rapport a l'imposition du cours ECR.

Les differentes confessions regroupees sous la CLE ont ce point commun. Par contre, elles ne partagent pas necessairement uniformite des croyances et des positions individuelles, ce qui est tres bien et tant mieux. C'est cela la vraie tolerance. S'unir pour ce qui est en commun et respecter ses differences. Il ne faut pas cacher ses differences, mais surtout axer sur le fait que malgre cela tous vise la meme unite dans le droit de choisir en respectant sa liberte religieuse et de conscience...

Tout ce que chacun peut faire pour faire avancer la cause, tant mieux (peut importe la confession religieuse qui l'exprime)... Il n'est surtout pas le temps de se laisser ecraser par la critique sans s'exprimer (surtout si la critique en plus vient de "mouvements religieux"). Pour les catholiques, il est important de faire voir la verite. Laissez croire en apparence que la position des parents catholiques sous la CLE est anti-catholique est tres mauvaise (etant donne la quantite de personne de cette confession au Qc)...

Anonyme a dit…

Décidément on dirait que j'ai du mal à me faire comprendre... J'ai rien contre la CLÉ, justement. J'aime bien mieux la manière dont la Coalition démontre qu'elle défend les intérêts de tout le monde, du fait qu'elle est "oecuménique". Comme je l'ai écrit (suffit de lire mon premier message, mais apparemment je dois l'expliquer), la lettre de Mme Morse-Chevrier me fatigue parce qu'en citant le concile ou le pape elle va probablement être la seule lettre publiée par La Presse en réponse à l'abbé Gravel, et les défenseurs du cours ECR vont encore pouvoir dire que leurs opposants vivent dans le passé avec leurs arguments basés sur le magistère ecclésiastique dans un débat politique. J'aurais préféré qu'elle s'abstienne et que M. Guy Durand voie sa lettre publiée, lui dont les arguments ne sont pas nécessairement les miens mais qui prouve qu'on peut être contre le cours ECR pour toutes sortes de raisons, et pas seulement quand on est "ultra-catholique". Mais, qui sait? Peut-être que sa lettre à lui sera publiée quand même...

Romanus a dit…

Je serais contre l'ECR même si j'étais athée. Ce cours a pour effet la destruction culturelle du Québec et inculque aux enfants des valeurs qui ne peuvent être qualifiées que de niaises. Il n'y a aucun rapport entre les objectifs énoncés et les résultats. Les objectifs annoncés par le gouvernement relèvent de la propagande et sont consciemment mensongers. Ce cours est un désastre culturel et tout parent doit s'opposer a ce que ses enfants y soient exposés... qu'ils soient musulmans, catholiques, protestants, orthodoxes, juifs ou athées. C'est un devoir, coûte que coûte.